Concert « hors les murs »
Scène nationale de Bobigny
Durée : 1 heure
13-15 février 1945, bombardement de Dresde. 12 avril : Richard Strauss achève les Métamorphoses.
Comment écouter cette réponse musicale si intimiste aux millions de tonnes de bombes déversées sur l’Europe durant les six années écoulées, à ses dizaines de millions de morts et de tragédies personnelles, et à l’anéantissement moral d’une Allemagne totalement défigurée par le nazisme ? D’abord comme la déploration douloureuse de ce vieux musicien allemand meurtri dans ses convictions humanistes les plus profondes, dans son enracinement, dans ses repères. L’allusion à la marche funèbre de la 3e Symphonie dite Héroïque de Beethoven est à cet égard significative.
Où est l’héroïsme, où est le souffle épique européen, sinon dans ce qui se raconte dans son enterrement après deux siècles d’investissement dans les Lumières civilisatrices ?
Alors, Apocalypse ? Non, Métamorphoses. À la violence destructrice du règne humain répond la foi dans la douceur sinueuse de la poussée végétale, avec ses bourgeonnements, ses élans et ses retours, que la musique de Strauss va savoir si magnifiquement traduire dans ses propres sinuosités. Reconquête pacifique et vivante, d’une lente et souveraine tranquillité, de tous les no man’s lands, quartiers détruits et terrains vagues. Sous les gravats, cette puissance de la nature évoquée dans L’essai de Goethe sur la métamorphose des plantes.
Beethoven, Goethe, référents avoués d’un homme qui ose croire encore en l’Allemagne et en sa capacité de reprise de soi. Mais au-delà c’est l’Europe qui est interrogée, cette belle Europe convoitée et enlevée par le roi des dieux déguisé en taureau dans Les Métamorphoses d’Ovide : « La fille est épouvantée et emportée, regarde derrière elle le rivage délaissé ». Où va l’Europe ? Et quelle réponse la musique peut-elle donner à cette question ? Déploration mais aussi consolation et chemin ouvert, proposition de direction, avec cette esquisse mise en musique au même moment par Strauss sur des vers de Goethe, toujours : « Personne ne se connaîtra soi-même, ne se séparera de son moi propre. Qu’il essaie chaque jour de savoir enfin clairement ce qu’il est et ce qu’il était, ce qu’il peut et ce qu’il désire». Sous l’accablement, quelque chose comme un espoir.
Marianne Bécache